Quand le corps parle à la place des mots
Longtemps, j’ai cru que mes crises venaient de moi.
De mon cœur. De ma fragilité.
Je n’avais pas encore compris qu’elles venaient surtout de mon environnement.
Vivre dans un climat où l’on doit être forte, souriante, disponible, alors qu’à l’intérieur tout tremble, crée une tension permanente. Une tension silencieuse.
Je n’osais pas dire que j’allais mal.
Et quand je l’aurais voulu, je pensais que personne ne comprendrait.
Parce que je souriais. Parce que je “tenais”.
Parce que j’avais cette carapace que beaucoup prennent pour de la solidité.
Alors j’ai tout gardé à l’intérieur.
L’anxiété, la fatigue, l’hypervigilance, les émotions retenues.
Mon système nerveux n’a jamais eu de vrai repos.
Et à force de contenir, quelque chose a dû sortir.
Chez moi, c’est le cœur qui a parlé.
Cette alarme porte un nom médical : la maladie de Bouveret.
C’est une tachycardie paroxystique supraventriculaire, liée à un défaut électrique du cœur.
Concrètement, il existe un circuit électrique en trop, présent depuis la naissance.
Je suis née avec.
Et comme mon cerveau TDAH, mon cœur était câblé différemment.
Pas défectueux.
Différent.
Ce n’est pas une maladie du cœur fragile ou usé.
C’est un cœur né atypique, qui fonctionne autrement, et qui réagit plus fort lorsque le système nerveux est sursollicité.
Ce défaut peut rester silencieux pendant des années.
Puis un jour, lorsque le stress, l’anxiété, la fatigue ou la surcharge émotionnelle s’accumulent, il s’active.
Et le cœur s’emballe, soudainement, violemment, comme s’il devait absolument se faire entendre.
Mes crises n’étaient donc pas un hasard.
Elles étaient une réaction.
La réponse d’un corps né atypique, vivant dans un environnement qui lui demandait de ne pas l’être.
Je n’avais pas le droit de dire « j’ai besoin de répit ».
Alors mon corps a trouvé un langage que personne ne pouvait ignorer.
Je demandais qu’on prenne mon poids.
Pas pour le chiffre.
Pas par obsession.
Mais parce que, à cet instant précis, cela me permettait d’exister.
D’être regardée.
D’être considérée.
Et surtout, qu’on me laisse enfin souffler.
C’était la seule manière acceptable d’obtenir du soin, de l’attention, de la douceur.
Sans avoir à me justifier.
Sans avoir à dire que j’allais mal.
Ce n’était ni une faiblesse, ni une mise en scène.
C’était une stratégie de survie.
Après beaucoup d’hésitation, de peur, de réflexion, j’ai finalement choisi de me faire opérer.
Non pas pour effacer mon atypie,
mais pour empêcher mon cœur de devoir crier à ma place.
L’intervention a consisté à neutraliser ce circuit électrique en trop, par une ablation ciblée.
Une décision réfléchie, consciente, respectueuse de mon histoire.
L’opération n’a pas effacé ce que je suis.
Elle a simplement rendu le silence à un organe qui avait trop parlé pour moi.
Aujourd’hui, je sais que mon atypie ne s’arrête pas au TDAH.
Elle est plus vaste.
Plus ancienne.
Plus profonde.
Je suis née différente dans mon fonctionnement, dans mon système nerveux, jusque dans mon cœur.
Mon cœur ne déraillait pas.
Il sonnait l’alarme.
Et quand on apprend à écouter ses alarmes, on n’a plus besoin de se battre contre soi-même.
Mon atypique est au-delà de bien de mes choses
Je suis arrivée dans ce monde ainsi.
Avec un cerveau TDAH.
Avec un cœur câblé différemment.
Livrée comme ça, dès la maternité.
Je n’ai rien choisi de tout cela.
Mais si la vie m’a été donnée, alors ce n’était pas pour que je me plie, que je me taise, ou que je me corrige sans cesse.
C’était pour que j’existe.
Pas malgré mon atypie.
Avec elle.
Je n’ai pas à devenir quelqu’un d’autre pour être légitime.
Je n’ai pas à m’adapter jusqu’à m’effacer.
Mon fonctionnement n’est pas une erreur de fabrication.
Je suis née comme je suis.
Et cela suffit.
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